Don PéPé

Don Pépé
Née en 1980 à St Étienne
Vit et travaille à Lyon
Le conseiller d’orientation avait lancé rageusement :
« Méfiez-vous de cette enfant trop mûre qui pourrait devenir un parfait dictateur ».
Papa m’avait rassurée en me disant qu’il se trompait et que je deviendrai Présidente de la République.
L’enfance retient tout.
Et je l’ai toujours sentie me tenir par la main.
Ses propos sont un peu flous et elle me tend bordéliquement des béquilles, des miroirs, des roses, des poignards, de la rage, de la passion, de l’optimisme, de la confiance, du rêve et de la désillusion.
Mon autre main construit ou détruit, s’agite ou abandonne, en prend une autre, la vénère puis la rejette.
J’accuse l’immaturité et l’instabilité de « cette base de moi » qui s’acharne à vouloir m’accompagner. J’écrase sa main pour lui montrer que j’ai la force d’exister. Elle se décroche sans sourciller.
Je n’ai plus de modèle à honorer.
Une foule d’envies bancales, de projets insensés et d’idéologies bobo se bousculent dans ma tête.
Et à ce moment, je ne peux m’empêcher de reprendre sa main.
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Peindre peut devenir une évidence autant qu’un sauvetage quand on regarde la vie de trop près. Être artiste, c’est lâche, c’est affirmer n’avoir plus peur de rien sauf de soi.
Être artiste c’est assumer cet amour inconditionnel pour la solitude.
Cette solitude qui nous répond en écho lorsque nous rions dans la grotte.
Cette solitude qui tente de nous affoler au croisement des tunnels que nous avons creusés.
Être artiste, c’est se rouler dans un égocentrisme crasse en espérant en faire gicler des paillettes.
Tenter de répondre à des questions « sous peau » et s’attaquer aux entrailles de notre vision du monde au risque d’en sectionner l’ossature.
Je ne suis pas artiste mais le fou qui cohabite en moi le voudrait. Il persiste à secouer cette boussole que je tenais fermement.
Il glorifie l’absurde et m’assure que si nous nous éloignons du sérieux, nous atteindrons la liberté .
Afin de me rassurer sur la fiabilité de cette théorie, je m’empresse d’obtenir l’avis de mon chien.
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« Offrir des miettes en toute liberté » est au départ une vision projetée d’un souvenir d’enfance.
Comme dans toutes mes création, le lapin, symbole traditionnel de l’inconscient mais aussi de la chance s’incarne sous le pseudonyme de Don Pépé.
Ici, Don Pépé adulte et Don Pépé enfant se réjouissent de partager figurativement un moment anecdotique mais aussi beaucoup plus que ça.
Papa disait toujours: « dans la vie il y a deux types de personnes, les optimistes et les pessimistes. Les deux ont tort mais une catégorie est plus heureuse que l’autre.»
Papa voulait sauver le monde. Fils d’ un ouvrier révolutionnaire qui consacra sa vie à ses idéologies, papa avait la hargne d’un revanchard poétique. Il avait retenu de son éducation qu’il fallait devenir quelqu’un d’important si on voulait que le monde accorde une crédibilité à nos idéaux et nos rêves.
Papa s’est passionné pour l’art très tôt, il s’est d’abord consacré à l’art flamand. Il devint expert international et marchand d’art à 20 ans et acheta un château à 25 ans.
Je grandis dans ce château qui accueillait chaque jour de nouvelles oeuvres autant que de nouvelles personnalités égarées.
Papa me le rappelait souvent « il n’était pas marchand mais collectionneur, il n’aimait pas l’argent mais la possibilité qu’il lui offrait d’offrir son vin et sa table ».
Un dimanche, alors que je devais avoir une dizaine d’années et que pour une fois nous étions seuls, papa m’a invitée à le suivre dans le jardin. Il riait tout seul, assis, un verre de vin à la main. Il fixait les poules du voisin qui investissaient notre jardin lorsque nos chiens et chats en étaient absents.
Il me questionna soudainement: « tu aimerais prendre une poule dans tes bras ».
Je lui répondais que cela me semblait impossible.
Papa alla chercher un saladier, le remplit de vin et y ajouta des morceaux de pain. Il déposa la mixture à terre, non loin de notre table. Peu à peu, les volailles s’approchèrent du plat, elles nous amusaient avec leur attitude de précieuses ridicules et leurs premières becquées gracieuses qui juraient avec leur regard ahuri. Elles se promenaient finalement une minute ou deux puis décidaient mécaniquement de retenter l’expérience. Une heure plus tard, les poules se bousculaient la place, allant jusqu’à plonger leur tête dans cette gamelle d’alcool dans laquelle flottaient quelques miettes. Papa prit une poule et la mit dans mes bras. Il choisit également la sienne. Nous passions une partie de l’après-midi à les caresser et à la regarder dormir.
On parla peu. Il me dit juste à un moment « N’utilise jamais tes pouvoirs dans un but de maltraitance et évite toujours d’imiter la foule ».
L’excès de confiance du genre humain. Sa bêtise. Ses masques. Sa fainéantise.
Son manque d’imaginaire et de générosité encore plus.
Des figures de sauveurs pervers m’apparaissent… Nous sommes dans un riad.
Une poufiasse à la voix stridente s’égosille lorsqu’elle jette le bouquet de fleur.
Une fille à lunettes pleure.
Je demande à ma vision de monter le son.
La pauvre a dû tomber et personne n’est venu l’aider.
Il n’en est rien. Ses pleurs se mouchent dans ses excuses.
Elle n’a pas eu le bouquet de fleurs. Elle bafouille une histoire de traumatisme à la Ingalls.
Son père avait cueilli des fleurs pour sa soeur et pas pour elle.
Des vendeurs de bidets avec de grosses montres arrivent pour jouer les psychologues.
Je me punis de souhaiter un remplacement de son ancien traumatisme.
Des Madames Bénitier qui cuisinent le dogme à la sauce féministe de fête foraine comparent leurs bagues.
Elles racontent leur romance et se rassurent mutuellement entre deux ricanements sur la culotte qu’elles portent magistralement au sein du couple.
Le son est coupé.
Bien qu’elles n’aient pas le genre de la Vogue des Noix, j’imagine sans problème
la félicité de la naine qui réussit à décrocher le pompon.
Une barbe à papa, un rosé pamplemousse et voilà une princesse gourmande ravie de recevoir prochainement une Mini-Cooper.
Quelle chance ont ces êtres adaptés. Je regrette de les avoir méprisés.
Pas tous, bien sûr.
J’ai aussi aimé trop.